La restauration du château, laissé dans un état lamentable après des années de guerre et de pillage, ne commença que très tard en dépit des nombreuses démarches et interventions pressantes auprès des autorités, malgré la bonne volonté du Service des Travaux publics de Mons. Comme toujours, il s'agissait de débloquer les crédits ce qui n'était pas une mince affaire.
Aussi, ce fut un jour d'octobre 1948 et non le 15 septembre comme ailleurs. Les restaurations, aménagements et installations nécessaires au fonctionnement des classes et de l'internat, entrepris seulement fin août, étaient loin d'être terminés. Une équipe de bénévoles: professeurs, maris, cousins, amis, scouts, vint à mon secours l'avant-veille de la rentrée. On se mit à peindre l'essentiel, à tapisser, à placer des tentures, à balayer et nettoyer à grandes eaux et même à cirer le parquet de la salle à manger.
Le mobilier absolument indispensable avait été livré petit à petit durant la dernière semaine de septembre; les lits furent montés le dimanche, in extremis.
Quand je me couchai ce soir-là, recrue de fatigue, j'étais plus ou moins rassurée: on allait tout de même pouvoir accueillir nos premières élèves, cinquante-trois dont quarante-huit internes; je solliciterai à la fois leur compréhension et leur collaboration active pour améliorer au plus vite la situation.
Lundi 4 octobre, catastrophe: une pluie diluvienne tombe sans interruption depuis la nuit; les arbres dégoulinent, les chemins d'accès, encore en piteux état, boueux, débordent de flaques d'eau.
Un vrai déluge! Dès huit heures, nos élèves internes affluent accompagnées de leurs familles. La plupart sont venues à pied depuis la gare, parfois après un long voyage (à cette époque on était encore peu motorisé), traînant de lourdes valises, s'abritant sous de grands parapluies tout ruisselants. Les rares externes, se sentent perdues parmi tout ce monde...
Le hall d'entrée de marbre blanc, lavé la veille à grand renfort de seaux d'eau puisés à la rivière, perd sa belle apparence...On y patauge.
Nous accueillons, renseignons. Nous faisons déposer les valises dans le couloir auprès des malles arrivées la semaine précédente, nous organisons de notre mieux. Après quelques mots d'accueil à nos élèves venues de tous les coins de Belgique, d'excuses aux parents, j'invite ceux-ci à nous quitter. Ce n'est guère facile: on voudrait voir les chambres, monter les valises, installer la fille, parler encore avec elle, la quitter le plus tard possible!
Pour la première fois, je dois faire acte d'autorité: empêcher les parents de pénétrer au delà du hall et du secrétariat et surtout de monter dans les chambres.
Je tiens bon: après tout, nos élèves ont de quinze à dix-huit ans , elles peuvent se débrouiller seules, elles ne monteront dans les chambres qu'après les cours, -" Comprenez-nous: on a tout mis en ordre durant le week-end, il n'y a qu'une seule personne pour entretenir la maison , les travaux ne sont pas achevés." Du côté des parents, l'on accepte plus ou moins: larmes, coeurs serrés. Petit à petit, ils s'en vont après promesse de visiter la maison à la première occasion. Ouf! Après avoir confié les élèves à leurs professeurs, j'ai tant de choses à faire: recevoir encore des inscriptions, téléphoner, batailler pour que les travaux de raccordement du gaz et de l'eau s'achèvent, pour que l'on ferme au plus vite les tranchées ouvertes dans le couloir du sous-sol où seront aménagées les salles de cours pratiques...
Nous attendons la cuisinière au charbon qu'on doit nous livrer ce jour-là, les cuisinières au gaz et à l'électricité ne sont pas encore tout à fait installées, il y a seulement un réchaud à gaz, type collectivité, en état de marche, à l'office.Il faut s'occuper du dîner, je dois veiller à ce que les dispositions prises la veille soient bien appliquées pour assurer un premier repas convenable, à l'heure. Le potage est préparé et cuit à l'office par Marie, la servante à tout faire. La brave "Nana" accepte d'éplucher et de cuire chez elle les pommes de terre; les rôtis sont apportés tout cuits, en dernière minute par le boucher. Il y aura même une délicieuse salade, fraîchement cueillie au grand potager désherbé, labouré, semé et planté depuis cinq mois par les deux jardiniers de la première heure: Auguste et Jacques. Finalement, nous réussissons à servir un bon dîner bien à l'heure.
Dès le premier jour, par groupes, les élèves sont initiées à la mise des tables, au service, à la remise en ordre de la salle à manger, de la vaisselle. Laver la vaisselle restera une des "corvées" des élèves internes et même externes jusqu'à l'installation d'un lave-vaisselle au nouvel internat terminé en 1958.La vaisselle!, on la faisait à tour de rôle en rechignant puis en chantant...
La première journée se passera bien pour les élèves et les professeurs, du moins je le crois. Après le goûter - pain, beurre, confiture-, les internes ayant déjà lié connaissance choisissent leurs compagnes de chambre et s'installent en attendant le repas du soir.
La première soirée
Dans l'après-midi, M. le Directeur Cocquyt, accompagné de Simonne Iwens, sa secrétaire, arrivent nous voir de Bruxelles.
"Comment se déroule la première rentrée? Comment va-t-on passer la soirée?" La pluie n'ayant pas cessé de tomber, l'on ne peut espérer profiter du parc. -"Il faut une radio. Commandez-la tout de suite" me dit Monsieur Cocquyt. Aussitôt dit, aussitôt fait.
Quelle joyeuse soirée nous avons passée! La radio a créé l'ambiance, l'on s'est mis à chanter, à faire des rondes, à danser oubliant quelque peu l'heure prévue du coucher. Cette soirée a laissé à nos premières internes un souvenir inoubliable. Elle est à l'origine d'une tradition fort appréciée par les élèves: le souper d'accueil organisé pour les "nouvelles", à l'internat, par "la seconde normale".