L'Etat envisageait d'acheter à Irchonwelz-Ath un domaine abandonné pour y fonder une école normale ménagère et agricole; j'avais été pressentie pour assumer cette création.
Rien n'était encore fait. Cependant, curieuse, je partis à la découverte des lieux, au printemps de 1947, avec des amis et leurs enfants. Première question : "C'est où Irchonwelz?"
Une rue banale, morne, puis brusquement, au delà d'une haute grille, un paysage inattendu de verdure et d'arbres majestueux me donne un coup de coeur. Roulant sur ce qui fut un chemin, nous apercevons, à notre droite, à demi-cachés par des arbres fruitiers, un groupe de bâtiments sans étage: ferme et dépendances.
Nous nous arrêtons devant une grande maison à allure de château campagnard, élégant, sans prétention.
Un peu effarouchés par notre intrusion, nous le contemplons de près: il fait triste figure, avec sa façade écaillée, ses vitres brisées, ses volets de travers mal fermés.
Une fille de la famille, 8 ans, escalade résolument le perron. Porte close, elle ne peut pénétrer.Elle se glisse par une fenêtre sans vitre, court à travers les pièces du rez-de-chaussée et revient presque aussitôt, effrayée par les gravats, les plafonds effondrés, la soie des murs en lambeaux, les toiles d'araignées... et le silence. (12 ans plus tard Nanette sera diplômée régente ménagère agricole, après 5 années d'études à Irchonwelz).
Je suis déçue! Comment faire une école de ce fatras, une ruine en somme!
Il fait beau, c'est le printemps, il faut en profiter. Nous dévalons une prairie mal entretenue et nous découvrons la Dendre. Elle sinue, encaissée entre les rives plantées d'arbres. L'eau limpide cascade sur des cailloux, prend des allures de petit torrent puis s'étale, tranquille, vers la ferme. Un petit pont permet de passer sur l'autre rive, vraiment trop broussailleuse. Nous suivons la rivière vers l'amont; de grands arbres : hêtres pourpres, ormes, charmes, tilleuls lui font un dôme majestueux. Quelle paix! Les enfants cueillent des jonquilles. Quel enchantement! Je contemple la belle maison, en haut de la prairie et je me prends à rêver... Dans ce décor de beauté, créer une école où des adolescents viendront vivre, étudier, s'épanouir, où une jeunesse saine fera renaître la belle demeure souillée par la guerre et les vandales... Oui cela vaut la peine de tenter l'aventure Je suis jeune (trop, pour les fonctionnaires du Ministère). J'aurai l'énergie et la force. J'ai le temps devant moi.
A dater de ce jour, j'ai décidé de mener à bien une oeuvre à laquelle je devais consacrer trente années heureuses et fécondes, malgré les difficultés et les soucis qui ne m'ont pas épargnés.
J'ai réalisé mon rêve aidée par des collaboratrices et collaborateurs enthousiastes, dont le dévouement n'a jamais fléchi.
Notre belle école a prospéré. Elle est devenue une grande école secondaire et supérieure à nombreuses finalités où des jeunes, génération après génération, vivent, s'épanouissent et sont heureux...